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Fiction et réalité policière - 3ème épisode.


Les mots ont leur histoire et leurs secrets. Le fatum porterait le mot grec de «l’atè » qui signifie erreur. Cette association arrange notre propos. Les deux mots «fatalité » et «erreur » concernent aussi l’enquête judiciaire. Le coupable en est le héros tragique. Lorsqu’il a commis son acte, il va laisser derrière lui des traces et des indices qui vont sceller son destin dans la mesure où l’enquêteur ne négligera rien pour faire exploser la vérité. Toutefois, l’erreur est humaine : le coupable et l’enquêteur, peuvent en commettre.


« Avec Edgar Poe, comme l’a écrit Borges, le récit policier est considéré comme un genre intellectuel. Un crime est découvert par quelqu’un qui raisonne dans l’abstrait et non par des délations ou par les maladresses des criminels... Dupin est un aristocrate et non pas un policier ». Le policier, lui-même, ne peut éviter les déductions et les supputations. Il ne peut échapper à la tentation de la démarche intellectuelle pour trouver parfois des suspicions qui peuvent être démenties par des preuves. Il ne peut se contenter de raisonner dans l’abstrait même si, parfois, il en est tenté. Le vrai danger est de vouloir passer de la suspicion à l’aveu, sans véritable enquête, c’est-à-dire sans la recherche et l’exploitation de tous les indices et sans l’exploration de toutes les pistes. Les avancées des sciences appliquées ont fait faire d’énormes progrès à l’enquête judiciaire qui, rappelons-le, dans des temps pas si lointains faisait passer un individu de la suspicion à la culpabilité lorsque les aveux étaient arrachés par la torture qui peut être physique mais aussi mentale.

C’est Didier Daeninckx qui a défini le roman policier en disant qu’il était «un type de roman dont l’objet se situe avant la première page » Après la découverte d’un homicide, l’objet de l’enquête se situe aussi avant la première page de la procédure qui débute par la découverte d’un cadavre et qui va s’attacher à établir le moment où a eu lieu l’homicide et ce qui s’est passé avant. Dans le roman-problème avec notamment Allan Edgar Poe, il y a deux histoires, celle cachée du crime et celle racontée de l’enquête. Alors revenons sur l’enquête judiciaire qui va chercher à décrypter l’histoire cachée d’un crime. Dans le roman policier, comme dans l’enquête judiciaire, l’action se fait à contre-courant, puisqu'elle commence par la découverte d’un crime, aboutissement de drames que l’enquêteur doit retrouver peu à peu. Il faut explorer des événements antérieurs à celui par lequel il commence : le crime.


Ce sont les indices qui permettront cette descente de police rétrospective. Le policier doit remonter le temps comme Œdipe mais pas avec une mèche lente. Il n’a pas à faire durer le suspense. Au contraire, pour faire exploser la vérité, le temps de l’enquête lui est compté. Il ne doit toutefois pas confondre vitesse et précipitation. Il faut aller vite pour identifier le suspect puis il faut prendre son temps pour enquêter.


Le policier est d’abord un technicien du droit pénal et non pas un moralisateur. Le polar-problème représente la société qu’il décrit sous une clef manichéenne : la lutte du bien contre le mal. Le détective incarne le bien ; le lecteur s’identifie avec lui. Dans la réalité, le policier doit se garder de tout manichéisme car son travail est avant tout technique. Il n’a pas pour vocation de porter des jugements moraux. Il n’incarne pas le bien : Il agit en fonction des lois et des règlements.


Lorsqu’un policier dirige une enquête, il doit écouter tout le monde et se poser les bonnes questions. C’est une démarche socratique et cela permet d’introduire le doute qui, pour moi, est le moteur de l’enquête. C’est le doute qui motivera ce que d’aucuns prendront pour de l’acharnement. Cela devient de l’acharnement si le doute n’est plus permis, si la culpabilité ne peut plus être établie ou si l’innocence est avérée. Il faut savoir que la réussite d’une enquête est liée à la rapidité d’intervention mais aussi à la persévérance et l’entêtement qui ne doivent pas conduire à la perversité.


L’enquêteur doit agir rapidement sur le lieu du crime pour récolter les indices et les témoignages. Les premiers éléments, c’est le mort qui les donne et c’est sur lui que le policier se renseigne. Une enquête de voisinage est immédiatement effectuée pour identifier et entendre des témoins éventuels avant de fouiller dans le passé proche et lointain de la victime mais aussi de son entourage au sens le plus large du terme, c’est-à-dire pas seulement familial mais aussi amical et professionnel … C’est dans les premières heures que les témoins se souviennent le mieux de ce qu’ils ont vu et entendu.


Lorsqu’un suspect est interpellé et passe aux aveux, il faut que ces aveux soient circonstanciés. Ils serviront à la reconstitution qui est un acte essentiel de l’instruction judiciaire. Lorsque l’on dit «circonstanciés », cela signifie que l’auteur doit fournir des détails qui pourront être vérifiés à la lueur des faits et des constatations. Lors de la reconstitution, il refera les gestes qu’il a faits et ces gestes devront être en adéquation avec les constatations, les témoignages et tous les indices relevés. Il peut arriver qu’un mis en cause reconnaisse un crime qu’il n’a pas commis, parfois pour couvrir le véritable auteur qui est un de ses proches.


Le paradoxe de la routine policière, c’est qu’elle est à la fois un outil d’objectivation par l’application de règles procédurales, et un facteur d’erreur judiciaire. La procédure judiciaire apparaît routinière. Elle est écrite et donc donne lieu à un formalisme qui génère une paperasse volumineuse. Rapidement, le policier va avoir l’impression de répéter à chaque enquête le même cheminement, et cette routine va lui donner le sentiment d’être, à chaque fois, le simple rouage d’un destin tout en croulant sous les exigences de la procédure écrite. Malgré cela, il doit se garder de devenir le ludi magister d’un jeu de rôle et de se prendre pour le Prospéro de la Tempête de Shakespeare. Il n’écrit pas un roman policier. Il doit rester ancré dans la réalité des faits et tout ce qu’il décrit doit en être le reflet le plus fidèle. Ce sont les indices qui permettent des déductions. On doit se garder d’interpréter les indices en les adaptant à un scénario imaginé ou hâtivement déduit. L’enquête est jalonnée de tâtonnements, de fausses pistes et d’erreurs. L’essentiel est de s’en rendre compte et d’explorer les autres pistes devenues moins nombreuses. C’est donc aussi un travail par élimination de pistes y compris celles auxquelles le policier croyait fermement. A cet égard, la théorie de Kehlweiler dans un roman de Fred Vargas, m’apparaît intéresser la réalité policière. Le policier doit se servir de ses deux mains… La main gauche imparfaite, malhabile, hésitante, et donc productrice salutaire du cafouillis et du doute, et la main droite, assurée, ferme, détentrice du savoir-faire. Avec elle, la maîtrise, la méthode et la logique. Un extrait l’illustre : « Attention, Vincent, c'est maintenant qu'il faut bien me suivre : que tu penches un peu trop vers ta main droite, deux pas de plus, et voilà poindre la rigueur et la certitude, tu les vois ? Avance un peu plus loin encore, trois pas de plus, et c'est la bascule tragique dans la perfection, dans l'impeccable, et puis dans l'infaillible et l'impitoyable. Tu n'es plus alors qu'une moitié d'homme qui marche penché à l'extrême sur ta droite, inconscient de la haute valeur du cafouillis, cruel, imbécile fermé aux vertus du doute ; ça peut venir plus sournoisement que tu ne te le figures, ne te crois pas à l'abri, faut se surveiller, t'as deux mains, c'est pas fait pour les chiens ».


Les erreurs et le doute font donc avancer les enquêtes. En littérature policière, Conan Doyle l’avait compris en créant le personnage du Docteur Watson dont le manque de perspicacité et les erreurs servent à Sherlock Holmes. Si la procédure est une routine avec des tâtonnements et des risques d’erreurs, l’enquêteur doit veiller à ne pas tomber dans la facilité et se faire piéger par cette routine de pure forme. Il n’a pas une obligation de résultat mais de moyen. Il ne s’agit pas de trouver un coupable à tout prix mais de réunir les indices et d’identifier le suspect pour, dans la légalité, procéder à des actes d’enquête. Dans cette routine apparente, le nouveau apparaîtra dans l’aspect humain. Le délinquant et le criminel sont des êtres humains, et il faut se garder des amalgames et des stéréotypes. Dans une émission de la chaîne Arte, Karim Fossum expliquait qu’elle avait écrit son premier polar après avoir assisté à un meurtre dont elle connaissait la victime et l’auteur qu’elle connaissait depuis 18 ans. Elle le trouvait estimable. Il s’agissait de quelqu’un de respecté et de respectable. Elle a assisté à l’enterrement de la victime et ce fut pour elle un très fort moment d’émotion. Elle reste persuadée que le meurtrier porte toujours une part de bien en lui. Pour commenter les propos de l’auteure norvégienne et, en faisant référence à Mankel et à son personnage Wallander, nous avons relevé une phrase dans un de ses ouvrages : « Les hommes sont rarement ce que l’on croit qu’ils sont ».


L’enquêteur doit aussi prendre conscience de la part importante qu’il représente lui-même dans l’enquête, alors que son premier souci est de rester objectif. Finalement, la seule chose qui peut emballer la machine ou l’arrêter, c’est le facteur humain. Dans les affaires d’homicides, si la procédure reste immuable, l’aspect humain ne l’est pas. Dans la confrontation entre le policier et le meurtrier, dès deux, le seul impliqué personnellement est le meurtrier. Le policier doit rester neutre pour rester lucide. En matière d’homicide, les preuves matérielles ne permettent pas toujours l’identification d’un mis en cause. L’aboutissement de l’enquête va dépendre de la capacité de l’enquêteur à écouter les témoignages et mener les interrogatoires. L’enquêteur va alors devoir s’impliquer davantage. Son expérience, son vécu et sa culture vont forcément influencer son cheminement intellectuel. Cette même influence peut apparaître lorsqu’il procède à l’audition du mis en cause. Pour limiter toute dérive subjective venant de lui-même, l’enquêteur s’évertuera à ne jamais perdre de vue les questions soulevées par les pièces et les détails du dossier. Il doit faire fonctionner son intelligence et non pas ses émotions ou ses opinions. Par contre c’est son humanité qui lui permettra d’établir un lien avec le criminel pour obtenir de sa part une certaine collaboration dans l’audition. Le criminel a besoin d’être compris mais il accepte mal d’être jugé. Le but de l’audition est de confondre le meurtrier plus que d’obtenir les aveux. Les mensonges ont autant d’importance que les aveux. En mentant, le mis en cause affiche sa mauvaise foi et s’engage dans une impasse. Il va mentir effrontément dans une première audition. Ensuite il devra revenir sur ses mensonges devant les preuves qui se sont accumulées. Qu’il le fasse devant le policier, devant le juge d’instruction ou devant un tribunal ne doit avoir aucune importance pour le policier, lorsqu’il ne cherche que la vérité et non pas une satisfaction personnelle ou une récompense. Contrairement à l’opinion commune, l’aveu n’est jamais satisfaisant pour l’enquête lorsqu’il est prématuré. Des affaires médiatisées ont démontré que des aveux rapides entraînent la négligence de certains indices et des incarcérations préventives qui débouchent sur des non-lieux et des relaxes, voire des erreurs judiciaires lorsqu’il y a eu condamnation. La vérité ne peut être qu’une mais toute piste non exploitée peut avoir au bout une autre vérité qui annule la première.






A suivre…

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