« Slam » ? Ne cherchez pas le mot dans le dictionnaire. Avant « slang » ( qui désigne l’argot anglais ), vous trouverez « slalomeur et slalom ».Pour expliquer ce qu’est le « slam » à un Corse, il faut lui évoquer les foires et les soirées au café du village quand, dans des jeux de mots, les hommes s’appellent et se répondent en termes poétiques, parfois le verre à la main. Ceux qui ignorent cette « coutume corse immémoriale » relient le slam à une compétition de « spoken words » (mots parlés) venue de Chicago. Des Corses auraient-ils introduit, vers les années 80, le Chjam’è rispondi à Chicago ? A l’origine, comme le chjam’è rispondi, le slam est donc une joute verbale où les participants rivalisent avec des mots scandés. Il s’est propagé et a maintenant ses vedettes qui slament sous des « alias », c’est-à-dire déclament leurs textes. C’est du « parler - chanter » à capella mais aussi un nouveau mode d’expression des jeunes des banlieues parisiennes ( différent du Rap). Ce n’est pas de la poésie mais ça lui ressemble davantage que le rap. C’est de la tcahtche poétique. En un mot, si c’est du slam, il y a longtemps qu’il y a des slameurs en Corse. J’ai entendu parler de nouveaux slameurs marseillais. Le phénomène a donc envahi le continent en venant des Amériques, alors qu’il n’avait jamais fait la traverser avec la SNCM.
Définition du slam par Grand corps malade vue sur son site:
Il y a évidemment autant de définitions du slam qu’il y a de slameurs et de spectateurs des scènes slam.
Pourtant il existe, paraît-il, quelques règles, quelques codes :
- les textes doivent être dits a cappella ("sinon c’est plus du slam" ?)
- les textes ne doivent pas excéder 3 minutes (oui mais quand même des fois, c’est 5 minutes…)
- dans les scènes ouvertes, c’est "un texte dit = un verre offert" (sauf quand le patron du bar n’est pas d’accord…)
Bref, loin de toutes ces incertaines certitudes, le slam c’est avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. C’est le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l'envie de jouer avec des mots.
Le slam est peut-être un art, le slam est peut-être un mouvement, le slam est sûrement un Moment… Un moment d’écoute, un moment de tolérance, un moment de rencontres, un moment de partage.
Enfin bon, moi je dis ça…
Extrait d’un slam de Grand corps malade :
J’ai constaté que la douleur était une bonne source d’inspiration
Et que les zones d’ombre du passé montrent au stylo la direction
La colère et la galère sont des sentiments productifsQui donnent des thèmes puissants, quoi qu’un peu trop répétitifsA croire qu’il est plus facile de livrer nos peines et nos crisEt qu’en un battement de cils un texte triste est écritOn se laisse aller sur le papier et on emploie trop de métaphoresPourtant je t’ai déjà dit que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fortsC’est pour ça qu’aujourd’hui j’ai décidé de changer de thèmeD’embrasser le premier connard venu pour lui dire je t’aimeDes lyrics pleins de vie avec des rimes pleines d’envieJe vois, je veux, je vis, je vais, je viens, je suis raviC’est peut-être une texte trop candide mais il est plein de sincéritéJe l’ai écrit avec une copine, elle s’appelle SérénitéToi tu dis que la vie est dure et au fond de moi je pense pareilMais je garde les idées pures et je dors sur mes 2 oreilles
« Grand corps malade » , connu à St Denis sous son prénom Fabien, est apparu sur scène avec une béquille et qui a rapidement conquis un public d’âges et d’horizons diverses. Pour lui , « la détresse n’a pas de conversation ». Grand corps malade s’amusait et amusait d’abord par ses mots avec son handicap qui lui vient d’un accident de piscine survenu à l’âge de 20 ans. Aujourd’hui, il slame aussi sur d’autres sujets et œuvre même dans des ateliers d’écriture. Il a besoin d’une béquille pour se tenir debout et marcher mais, si le grand corps est malade, la tête est pleine de mots justes, de textes efficaces et d’humour ravageur. Fabien s’appelle et se répond. Le public l’entend. De la poésie, il en parle . Si elle lui paraissait « relou » , lorsqu’il étudiait la Pléiade au collège, elle l’a rattrapé « sous d’autres formes ». Il dit : « J’ai compris qu’elle était cool et qu’on pouvait braver ses normes ». Plus que braver les normes, il lui arrive aussi de partir en couille, lorsqu’il raconte le combat entre sa tête, son cœur et ses couilles mais, là encore, il déconne avec talent. Du talent, il en a aussi pour défendre, sans angélisme, sa banlieue de Saint Denis à qui il voue un réel amour et, à ce qui se dit, elle le lui rend bien.
Grand corps malade a découvert la Corse et il est venu mêler sa voix à des voix insulaires. Cela ne pouvait se faire que naturellement.
« Voix corses montant des profondeurs de l’âme,
Perpétuez le Chjam’è rispondi des temps immémoriaux,
Cette Joute des beaux parleurs au comptoir d’un bistrot.
Savez- vous que, en France, on l’appelle le slam »
La différence entre le Slam et le Chjam’e rispondi est que le slam était d’abord un monologue alors que le chjam’é rispondi est originellement polyphonique. Toutefois, sur scène, des rappeurs en sont venus à la polyphonie avec des textes assortis de gesticulations pour chauffer l’auditoire. Il ne s’agit pas d’un spectacle avec des textes sans doute qu’en partie improvisés et répétés comme des chansons apprises. . En Corse, seules les voix accompagnent les textes improvisés. Dans un bistrot ou sur la place du village, le chjam’é rispondi anime des réunions amicales et perpétuent une culture orale ancestrale.
Définition du Chjam’è rispondi par Angèle Poli sur le site « Terre des femmes » :
Un chjam’è rispondi est un exercice vocal ( debout, face à face, sans accompagnement instrumental et en public). Il consiste en nune libre improvisation poétique très rythmé pratiquée par deux ou plusieurs poètes , sans critère d’âge ou de condition sociale, à l’occasion d’évènements publics : fêtes, concours, foires, noces, tontes des brebis. Si la mélodie de départ du Chjam’è rispondi est personnelle, le schéma musical repond, lui, à des règles constantes ( mélodie pentatonique descendante, avec suspension sur le second degré à la fin du premier vers, une fausse résolution à la fin du second vers, et un final qui s’achève sur la tonique du troisième vert). Il n’y a pas de thème imposé hors la poésie elle-même. Mais le contenu s’appuie couramment sur les débats de société qui sont de l’actualité proche ou « l’air du temps ». La règle veut que, dans cette joute oratoire, l’on reste d’une part toujours courtois et pétillant d’esprit et d’autre part que la réponse ( risponde) ns’appuie sur le sujet de départ appelé , tel qu’il est énoncé dans le premier couplet ( à chjama = l’appel).
Site terres des femmes, cliquer : http://terresdesfemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/05/
Nous avons trouvé une vidéo sur le chjam’é rispondi…
Imagine ! me disait Joël Jegouzo (journaliste littéraire). Savoir, comme dans un chjam’é rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.
Des insulaires ont constitué une association autour de cette poésie jadis sociale et conviviale. Nous avons noté un article de presse qui en parlait récemment et qui disait : « Ils sont originaires du Centre Corse, du Niolu, de Balagne ou du grand Ouest. Inspirés par une humeur, une émotion, une image, ils se saisissent du prosaïque des jours en vers et en rimes. La poésie chantée en langue corse est l'un des moyens d'expression qui convient le mieux à leur tempérament. C'est ainsi que les membres de l'association di U Chjami è rispondi, présidée par Ghjuvan Petru Ristori di a Riventosa, tracent leur chemin en pensant la tradition au présent et la continuité entre les générations. Leur méthode consiste à favoriser les petits événements à travers l'île, comme on accomplirait un acte militant, pour "le plaisir d'être ensemble, de s'amuser et bien sûr de partager une passion et un savoir. Nous aimerions nous déplacer encore plus souvent". Récemment, c'est à Lopigna - à la limite de la Cinarca et du Cruzzinu et à l'appel du conteur et poète Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi - que les improvisateurs* ont donné libre cours à leur virtuosité et affirmé leur évidente complicité. "Autrefois, le chjam'è rispondi figurait une habitude sociale et conviviale qui rythmait, entre autres, les veillées, les mariages, les fêtes patronales, une rencontre fortuite au café du village, ou encore la tundera. Aujourd'hui, il trouve sa place lors de soirées programmées à l'avance", explique Ghjuvan Petru Ristori…
(Corse Matin, Véronique EMMANUELLI, article Publié le 22/04/23)
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