top of page
editional

Pour tout texte il y a d’abord une voix




Le gueuloir de Flaubert est une technique inhabituelle qu’utilisait l’écrivain Gustave Flaubert pour perfectionner son style d’écriture. Il s’agissait d’un organe vocal qu’il utilisait pour réciter ses textes à très haute voix. Voici comment cela fonctionnait .

—   Flaubert passait des heures à écrire, apportant d’incessantes corrections à ses brouillons.

—   Ensuite, il se mettait à crier ses phrases, les soumettant ainsi au test ultime : la lecture à haute voix.

—   Si une phrase ne sonnait pas bien ou ne résistait pas à cette épreuve, il la retravaillait jusqu’à ce qu’elle soit parfaite.

Cette méthode lui permettait de satisfaire son exigence stylistique et de créer une prose harmonieuse, pleine de nuances et de subtilités. Une démarche exigeante, mais qui a donné naissance à des chefs-d’œuvre littéraires tels que Madame Bovary.


Sur le site Omnilogie.fr, on peut lire :

« Les lecteurs de Gustave Flaubert connaissent l’harmonie qui se dégage de ses textes : une prose à la limite du poétique, sans rimes ni pieds mais pleine de nuances et de subtilités. Chaque phrase est patiemment construite, articulée pour faire passer un message clair et riche de sens sans trébucher sur des mots qui briseraient le rythme de la phrase et du récit.

(…) focalisons-nous sur la légende. Flaubert s’interrompait régulièrement pour gueuler (d’où le nom de gueuloir) ses textes, les mettant à l’épreuve de l’oral pour vérifier la cohérence et la pureté de chaque proposition : les phrases mal écrites ne résistent pas à cette épreuve ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements du cœur et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie.

Mais attention, on ne parle pas ici d’une simple déclamation orale, ou d’une lecture plate et morne : le mot gueuler prend toute sa dimension, déployant les décibels, laissant Flaubert les poumons en feu. Cela vous paraît ridicule ? Essayez pourtant un jour d’hurler votre prose : chaque mot mal placé, chaque proposition abruptement amenée, chaque adjectif hors de propos est un écueil à la lecture, une pierre qui irrite le larynx et rompt l’enchantement littéraire.

Preuve – s’il en fallait – du lien entre écriture et lecture, lecture et oral, oral et entente, et enfin entente et appréciation d’un rythme ou d’un son.




Cela nous entraîne tout naturellement sur la lecture de textes littéraires. Nous avons retrouvé un entretien avec un acteur de théâtre et de cinéma. En préambule, il nous disait : « Pour tout texte, quel qu’il soit, au fond de l’encrier, ou de l’ordinateur, il y avait d’abord une voix. Une lecture rend la voix à la voix : ce qui est venu d’une voix retourne donc à la voix. La voix d’un autre. Aucun livre, aucun imprimeur au monde ne rendra cette voix si quelqu’un d’autre ne s’en mêle pas. Voilà ce qui justifie une lecture, ce qui en constitue le statut et l’autorisation… » (Daniel Mesguich)

A propos de la lecture d’un texte par un acteur, à l’occasion du Centenaire René Char et du texte inaugural   de Daniel Mesguich en lien avec l'Ecole des lettres , Hélèné Boutin avait eu un entretien avec l’acteur sur le site Educnet – section théâtre… L’article est du 19 juin 2006 mais  nous vous y revenons pour sa valeur pédagogique.

Extraits de l’entretien :

Le lecteur silencieux est seul. Bien sûr, il dialogue avec son livre, il entre dans le texte, mais ceci est insuffisant. Une lecture, grâce à la voix et, peut-être aussi, à l’apparence du lecteur/acteur, se saisit du texte, sans mise en scène, sans maquillage, sans mouvement, sans costume, sans effet de lumière particulier - une lecture suppose simplement une table, une chaise, peut-être un micro et un livre avec un lecteur qui lit - et, avec ce minimum-là qui n’est pas du théâtre, montre au lecteur un autre lecteur, autrement dit lui-même. Tout à coup le lecteur devient la mesure de toute chose. Ce qui se donne à lire n’est pas le livre mais le livre lu. C’est un pont, le livre fait la moitié du chemin, est apprivoisé. Le lecteur/acteur dans le texte, faisant corps au texte, change le goût du livre et efface une grande partie de l’intimidation de la lettre, littéralement. Se voir soi-même lire le livre ne remplace pas la lecture silencieuse et intime, mais constitue un acte très fort, d’une égale légitimité. J’imagine une société où les citoyens se liraient sans cesse des livres et où cet acte serait naturel et normal.


Ne pas confondre lecture et théâtre.

Aujourd’hui nous assistons à une floraison de lectures, " ça lit " de tous les côtés. Pour des raisons économiques, les lectures remplacent le théâtre : cela coûte bien moins cher d’avoir un seul acteur qui lit un livre que dix acteurs qui l’ont appris par cœur et répété deux mois, qui ont besoin de lumière, de costumes. L’inflation des lectures à laquelle nous assistons menace le théâtre... si toutefois la place respective de chacun n’est pas repensée.

Je lis moi-même beaucoup en public, par plaisir, et parce que j’aimerais être de ceux qui, un peu comme les gens de théâtre d’avant-guerre (Cocteau, Guitry...), avaient un pied dans la littérature et un autre dans le théâtre, le cinéma ou la danse. Je trouve tout à fait normal pour moi de fréquenter autant d’écrivains que d’acteurs. Après la guerre, les arts se sont spécialisés. Peu à peu la mouvance du théâtre populaire a fermé la porte aux poètes, aux peintres. De son côté le cinéma a subi positivement, mais aussi négativement, la Nouvelle Vague : théâtre, peinture, textes, ont tendu à disparaître au cinéma.


Lecture régressive ?

Nous sommes en train de  réinventer l'hypocrites du pré- théâtre grec. Le théâtre a commencé avec Eschyle décidant de placer non plus une seule personne devant le chœur, mais deux acteurs entrant en dialogue. Cet écart entre les hypocrites a fait naître la scène.  Trop souvent, les lectures pratiquées aujourd'hui restent en amont du théâtre ; elles  sont le signe d'une réelle régression car elles suscitent souvent une ferveur presque religieuse : l'acteur/lecteur est pris pour un pasteur, un passeur lisant La Parole. L'auteur importe peu. Ecriture et parole sont confondues : le prêtre ne parle pas, il est parlé par l'écriture. Tout à coup, la  parole semble devenir pleine. Alors que la poésie doit, au contraire, nous faire suspecter la langue, nous faire entendre d'autres mondes. Sa lecture devrait provoquer un « dé-collage » de la parole et de l'écriture, un « dé-tatouage ».


Poésie et lecture

La poésie contemporaine appelle la lecture : les poèmes sont des voix glacées dans l'encre qui doivent être libérées du livre-objet par de la voix. La poésie est un appel, tout simplement. Même la poésie très écrite de Mallarmé se lit et se dit : il y a une voix derrière elle. Dans les textes d 'Hélène Cixous, l'indécidable (entre le féminin et le masculin par exemple) prend une large place et leur lecture suscite d'autres formes d'indécidable, de pluriels… pourtant rien ne peut échapper à la voix. Les phrases ou les vers les plus abstraits sont encore de la voix, parce que la poésie suppose rythme, longues et brèves,  jeu des assonances et des allitérations, ce qu'un lecteur «à l'œil», tenant le livre à la main ne lit pas, n'entend pas.

 

… et, pour illustrer nous vous proposons  « Le bateau ivre » de Rimbaud dit par Gérard Philippe ( source : Youtube ).



5 vues0 commentaire

Comments


bottom of page