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A propos d’une littérature corse

Dernière mise à jour : 27 mai

Définition de la littérature régionale par Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes :

Les écrits de Nathalie Caradec proposés dans une étude sur la littérature de Bretagne illustrent parfaitement la difficulté de donner une définition, ne serait-ce qu’à l’échelle d’une seule région :

Nous considérons la littérature bretonne de langue française comme si l'ensemble ainsi défini allait de soi, pourtant nous ne pouvons pas éviter le débat lancé depuis une trentaine d'années sur cette terminologie. En effet, dans les années 1970, la discussion a été ouverte dans les colonnes de la revue Bretagnes […]. Cette revue littéraire et politique a soulevé un certain nombre de questions et cherché des critères pour caractériser cette littérature. […] Plus récemment, Pascal Rannou s'est penché sur le sujet […]. En 1993, il retrace la chronologie de ce débat inachevé et problématique. Quelques années plus tard, Marc Gontard souligne la « difficulté de mettre en œuvre des critères décisifs de détermination » mais essaie de trouver « un certain nombre d'indices, thématiques ou formels, spécifiques d'un imaginaire ou d'une pratique textuelle, qui [lui] semblent caractériser cet ensemble nécessairement « pluriel » […] pour lequel on peut revendiquer le nom de littérature bretonne de langue française. » Plus récemment, Marc Gontard considère que l'expression désigne « toute pratique textuelle où la question de l'identité, comme patrimoine culturel, travaille la question de l'écriture. »



Privilégiant l’expression « littérature régionale » et non « régionaliste », toute connotation à caractère uniquement politique est donc exclue de cette étude. J’entends ainsi parler d’une littérature en région et non pas seulement d’un mouvement littéraire revendicateur ou contestataire. Néanmoins, la question de l’identité régionale reviendra obligatoirement dès lors que nous nous attacherons à l’étude de régions comme la Corse, la Bretagne ou le Pays basque.

Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la « littérature régionale » n’en fait pas partie. Pourtant, il s’agit bien d’une forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cœur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit l’âme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guère employées dans la littérature dite « généraliste ». De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.

La littérature corse résulte des pratiques ancestrales d’une littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par l’alphabétisation et l’apparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourd’hui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Évidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, l’Alsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.

Garante de la conservation et de la protection d’un patrimoine culturel, la « littérature régionale » devrait être au cœur de certaines préoccupations. En effet, à l’heure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions d’une unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance d’une littérature régionale en tant que telle s’inscrit dans le contexte actuel de conservation de l’identité des minorités culturelles.

Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la « littérature régionale » est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande d’un public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.

« [C]'est au moment fort [d'une] prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté d'un groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ». La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe qu'elle représente, « vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ».

Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci.

Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, l’auteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il s’inspire, ni forcément y écrire, pour l’utiliser à des fins littéraires. Dans l’objet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional l’auteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui n’y s’y réfère jamais.

Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu d’action romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour l’auteur mais aussi pour le lecteur. L’intervention d’un folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de « régionaliser » son ouvrage tout comme l’utilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, j’entends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie."

                   Extrait de la Thèse de Doctorat présentée par Elodie Charbonnier.

  

Le polar régional :

           En premier lieu en France et en Italie., le polar régional doit sans doute beaucoup au néo –polar, comme celui-ci doit quelque chose au roman noir américain… On peut considérer que, sous l’influence de Hardboiled, le roman noir français a évolué en roman social baptisé « Néo-polar ». C’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!... C’est aussi le roman de la ville : « … La ville reste plus que jamais le lieu privilégié du polar. Seulement ce n’est plus le centre urbain qui prime. L’action se passe maintenant dans les banlieues, la zone, ou les quartiers populaires, voire marginaux. De nouvelles couches sociales sont apparues. Les minorités : arméniennes, bretonnes, travailleurs immigrés, délinquants, terroristes, paumés, zonards, trimards, mouisards, loubards, losers, toutes générations confondue… » ( Anne Pambrun Bibliosurf ).Le polar a fini par quitter ses capitales : Paris, Londres , New-York…

C’est Manuel Vasquez Montalban, avec sa ville Barcelone, qui a ouvert la voie dans les années 1970. Il est l’inventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché l’apparition d’une vague d’auteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville… En Italie, Andrea Camilleri va même appeler son héros récurrent « Montabalno » en hommage à l’auteur Catalan et en France, le Fabio Montale de Jean-Claude Izzo a un air de famille avec le héros de Vasquez Montalban et celui de Camilleri. Les trois sont enracinés, porteurs d’une identité et à la fois d’une humanité universelle.

Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Camilleri n’a jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors qu’il signé encore sous le nom de Georges Sim et qu’il était publié par un bimensuel italien, avant de découvrir une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien. Maigret est devenu son modèle pour Montalbano.

Si le polar régional a trouvé un large lectorat avec de Montalban, Camilleri et Izzo, il s’est implanté durablement dans diverses régions de France. La Corse n’a pas échappé à la vague polardeuse.  

 

Existe-t-il une littérature corse ?

Cette question nous ramène à la présentation de la rencontre littéraire de Barrettali en août 2007 (organisée par Jean-Pierre Santini) et à son compte rendu sur la question de l’existence d’une littérature corse.

Tard dans la nuit aoûtienne, était apparue, de façon larvée, une opposition entre différents points de vue sur la littérature corse. Nous avions noté quelques commentaires sur le Toile…

 

En outre, la littérature populaire corse inclut également des polars, qui font la suture entre le parlé et l’écrit. L’influence des idéologies méditerranéennes se fait sentir dans ces œuvres2. Le corse, devenu un trait majeur de l’identification des Corses, est souvent présent même chez ceux qui ne le parlent pas couramment.

 

Okuba Kentaro écrivait : « On en retint quelques grandes phrases maîtresses : il faut des chefs d’œuvre à la littérature corse ; il n’y a pas de critique littéraire dans l’île; les grands livres de la littérature mondiale doivent se lire dans leur langue d’origine ; bref, le genre de concept qui plaît tant aux universitaires et qui s’éloigne des intérêts mêmes des premiers de la chaîne littéraire, à savoir les lecteurs ».

 

Le sapeur numérique s’interrogeait  : « La littérature corse existe-t-elle ? Si oui, quelle est sa spécificité ? La question a été soumise à une trentaine d'auteurs corses, réunis le 11 août 2007 à Barrettali. Visiblement, les trois ou quatre, qui se sont aventurés dans l'esquisse d'un début de commencement de réponse, ont tout de suite provoqué une séparation de l'assistance en deux groupes :

—   D’une part, ceux qui n'ont pas demandé leur reste, se sont levés, ont échangé quelques sourires confus avec leurs voisins immédiats, distribué quelques bises, tourné le dos à l'assistance, rejoint le parking, et fait ronfler le moteur de leurs voitures pour ne pas quitter le débat sans y verser leur lot de décibels.

—   D’autre part, ceux qui, comprenant soudain que la récréation avait commencé, sont allés entourer les deux qui commençaient à échanger des politesses assez bruyantes. Sans doute le cercle des poètes disparus. Il se forme. On se retrousse les manches. On entoure les protagonistes. Surtout, on veille collectivement à ce que l'affaire se règle à la loyale, à mains nues et concepts ordinaires.

Qu'en pense le Sapeur Numérique ? La spécificité de la littérature corse ? Vous sélectionnez un échantillon d'auteurs corses et vivants. Et vous créez alors la situation expérimentale suivante :

—   D’abord vous répétez la question ci-dessus. Vous lancez le chronomètre, et vous l'arrêtez lorsque le nombre d'auteur restant sur place est égal aux trois huitièmes de l'effectif initial (grosso modo, le nombre d'or). Le chiffre obtenu vous donne une bonne mesure du degré de rémanence de la question initiale après dissipation de ceux qui s'en battent les ouïes.

—   Ensuite,  vous transformez la question en affirmation péremptoire : « La littérature corse existe ». Vous appuyez lourdement en précisant : « Il n'y a pas de peuple sans littérature ». Et vous passez en boucle : « Le parfum du maquis, comme autrefois m'inondera, et me bercera dans ses bras ».

 

Y a-t-il un caractère singulier, voire spécifique, de la littérature corse ?

 

La littérature corse, à notre sens, a un caractère singulier à plusieurs titres. D’abord, elle a été longtemps orale et l’écriture n’est venue que tardivement.

 




En août 1956, associé au journal U Muntese que dirigeait Pierre Ciavatti, Henri Ceccaldi, journaliste et président du groupe culturel et artistique Altitude, était à l'initiative d'un grand rassemblement des poètes et des écrivains dialectaux de la Corse.  Il s'agissait d'une sorte de consulte pacifique pour défendre notre dialecte et notre culture.  C'est un festival qui s'installa à Evisa pendant quatre saisons, de 1956 à 1959, sous les châtaigniers tricentenaires dans un magnifique théâtre de verdure, désigné comme l'un des plus beaux sites d'Europe par Pascal Bontempi qui a relaté l'événement dans la presse locale. Nous vous proposons cet article sur ce festival qui a précédé de plus de dix ans le Riacquestu... Les poètes et autres félibres s’y livraient à cette joute verbale qu’est le chjam ‘e rispondi. 

 

La jeune littérature écrite a donc puisé dans cette oralité. L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et l’écrit,  me disait Joël Jegouzo, critique littéraire avant d’ajouter :  Imagine ! Savoir, comme dans un chjam’é rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour cette autre raison qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même la trace de la structure Chjam’è rispondi, la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.

 

C’est Antoine Mattei qui a affirmé dans « L’avenir de la Corse » que « l’idiome avait bien une littérature, celle des villageois, des femmes, des bergers qui ont toujours chanté dans cette langue ». La littérature en langue corse est d’abord orale. Nous ne partageons pas, comme un participant érudit d’une journée « Libri aperti » à Barrettali, l'idée de faire commencer la littérature corse avec Dante. «  Pourquoi pas Sénèque ? », a marmonné un assistant, précisant aussitôt : « Ce qu'il y avait de typiquement corse chez Sénèque, ce n'est pas tant qu'il écrivait à partir de la Corse, mais surtout qu'il écrivait à sa mère, et pour se faire plaindre ». Si on évoque la première littérature écrite, on retrouve des auteurs corses écrivant en Toscan puis en Français. Il n’en reste pas moins que ces auteurs étaient habités par le passé humain de la Corse et que leur archéologie intime était faite des couches mnésiques insulaires.

 

La littérature corse contemporaine, après quelques prémices, a d’abord affirmé avec force son identité avec ce que l’on appelle le " Riacquistu ". Vous pouvez lire un exposé à ce sujet sur le site openedition...

Ce sont des Corses qui racontent l’histoire de la Corse, sa résistance et ses révoltes, sa mythologie, ses légendes. A l’héritage de l’oralité (contes, nouvelles, théâtre et poésie) s’ajoutent les essais et les romans. Les auteurs corses veulent parler eux-mêmes de ce qu’ils connaissent, de ce qui les habitent. Ils expriment ce que chaque Corse porte en lui et qui est différent du cartésianisme importé. Les écrits corses ont leur propre musique.

 

De nos jours, les auteurs corses ont une double culture corse et française ( avec les non-dits de la proximité géographique et historique de l’Italie ). Cette double culture a été d’abord perçue comme un danger, celui de perdre, en même temps que la langue, l’identité corse. Malgré les efforts accomplis, le risque existe toujours mais il est moins important que celui de l’enfermement. Ce qui fait la spécificité de la littérature corse est aussi son existence parfois conflictuelle entre deux cultures, l’une corse orale et originelle, l’autre française, écrite et imposée.

 

L’autochtonie souffre-t-elle ou s’aiguise-t-elle de sa confrontation à la francophonie ? La littérature trouve son inspiration dans le passé humain d’un peuple fait de brassages ethniques sur plusieurs générations. Le premier point commun partagé par la Corse est donc l’insularité qui peut être mise au miroir des îles voisines de la Méditerranée. Donc toute comparaison devrait, me semble-t-il, commencer par un inventaire des points communs à travers les origines, les évolutions sociales et politiques, les événements historiques, les productions culturelles...

 

Selon Neria De Giovanni ,directrice de la revue culturelle " Salpare ", membre de jurys littéraires et présidente de l'Association internationale des Critiques Littéraires (AICL) : « La littérature est un excellent moyen pour mettre en rapport des hommes de cultures et de langues différentes, une découverte féconde des différences ». La Méditerranée et l'insularité constituent dans ce domaine des atouts : « Chaque île est un écrin pour maintenir la richesse de chaque identité culturelle, surtout à l'heure européenne. C'est une chance pour échapper à la mondialisation et à l'uniformisation ».

 

En quoi la langue corse importe-t-elle à la littérature corse ?

 

La sauvegarde de la langue corse est un facteur important de la culture corse. Elle n’est cependant pas le seul important dans la littérature. Un livre est écrit pour être lu et pour éventuellement passer les frontières. L’écrivain corse peut être un passeur forcément tourné vers le Monde ou un plumitif autocentré sur son nombril corse. A chacun de choisir sa voie. La langue ne doit pas devenir une barrière entre les Corses eux-mêmes. Le bienfondé de la promotion de la langue corse est une évidence mais l’identité est faite d’autres composantes et chacune a son importance. Ces autres composantes peuvent s’exprimer dans toutes les langues. Il est certain que des ouvrages bilingues sont les bienvenus . Le bilinguisme est le seul moyen de préserver le fait corse tout en répondant aux exigences d’ouverture sur le reste du monde.

 

Jean-Toussaint Desanti, philosophe corse, avait déclaré :

 

—  Si quelqu'un maintenant me posait cette question " Es-tu un philosophe corse ? ", je répondrais certainement ceci :" Jamais je n'ai écrit en langue corse une ligne de philosophie. Mais là n'est pas l'essentiel. Je crois avoir pratiqué la forme de philosophie qu'exigeait mon origine. Dans ce champ aussi j'ai, autant que je l'ai pu, pourchassé l'indétermination, fait violence à la culture, effacé la mer, celle qui sépare et engloutit ".

—   " Je suis né à la fois en Corse et ailleurs, mais en des temps différents. Comment éclairer cette relation de la Corse, comme terre d’origine, à son ailleurs ? " Comment comprendre l’articulation du temps des origines et du temps où les événements d’une vie s’enchaînent, où ils prennent leur poids et leur tournure ? Telle est l’interrogation qui aujourd’hui encore m’inquiète et me laisse incertain. "Ailleurs" : je crois avoir su ce que cela veut dire, et au plus près. "

 

Il avait répondu à Ange Casta qui lui demandait: Quelle place la Corse a tenu dans votre vie et dans votre pensée ?

—   C'est le lieu où je suis né, où mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père et ceux qui les ont précédés sont nés. C'est le lieu dans lequel je me sens né. Où j'ai pris racine. Ma profession, ma vocation, c'est d'être philosophe, c'est arrivé assez tôt - vers l'âge de 19 ans - et c'est arrivé en Corse. Simplement parce que c'est là que j'ai commencé à lire des philosophes. Dans quelle mesure le fait de me sentir de cette origine m'a-t-il porté vers une certaine forme de philosophie ... ? Je peux parler de l'insularité, l'insularité qui est l'unité d'un enfermement et d'une ouverture. La mer nous enveloppe et elle est aussi le chemin. Or un chemin qui ouvre et ferme, ça pose problème. D'une part, il faut prendre pied et donc s'y trouver. Et d'autre part, il faut y prendre essor, et s'en aller. A la fois s'en aller et rester. C'est tout le problème de la philosophie qui consiste à prendre en charge l'environnement du monde dans lequel on est, avec ses voisinages, avec ses rapports qui se construisent toujours et qui donnent sens à ce voisinage, qui permettent de le penser, de lui donner un corps. Et d'autre part il faut l'élargir, essayer de comprendre le rapport à un autre monde que ce voisinage qui ne cesse jamais d'être là. Et plus vous vous en irez, plus le voisinage viendra avec vous. Vous êtes obligé, à ce moment-là, de penser ce rapport. L'insularité vous donne à penser.[...]

Ange Casta: L'insularité, on peut la vivre ailleurs que dans une île ?

—    La peau qui nous enveloppe, c'est notre île, notre insularité. Nous ne pouvons pas en sortir, elle nous accompagne partout. Nous sommes tous insulaires au sens propre. Nous sommes obligés de montrer nos sentiments sur notre peau et de lire, sur la peau des autres, leurs sentiments. Nous sommes toujours dans ce rapport à la fois d'exclusion et d'intériorité. L'intérieur et l'extérieur se tiennent. La notion de frontière doit être pensée entièrement, elle n'est pas une ligne de séparation, mais une relation mobile.[...]

Ange Casta : Qu'est-ce qui a construit cet attachement très fort que vous avez à ce pays qui est le vôtre, la Corse, à ces racines, à cette identité ?

—   C'est la terre, l'air, la mer. Les gens que j'ai connus. La lumière. Et quelque chose qui concerne la philosophie : la précision des formes. Les formes, chez nous, sauf au grand soleil, sont précises. Chaque fois que j'y pense, j'entends un verset fameux d'Homère qui parle des bergers : c'est la nuit, la lune se lève, les hauts promontoires se dessinent, les collines et aussi les golfes se dessinent et, dit Homère, " le cœur du berger se remplit de joie ". Simplement parce que les choses se dessinent. Or, quand les choses se dessinent, cela veut dire aussi qu'elles se dévoilent, dans cette lumière. C'est cela qui est décisif du point de vue du désir de philosophie. C'est le désir de la forme qui échappe à la brume.

 

Pour Félix Castan, l'incarnation de l’humaniste occitan ouvert au monde et à toutes les différences, « L’humanité n’est pas une fourmilière mais l’expression d’une diversité. La sédentarité n’est pas exclusive du mouvement. Elle est même plus universelle que le nomadisme. Le fait d’être de quelque part donne conscience que chaque homme est un centre du monde ».

J’aurais pu laisser le dernier mot à un philosophe mais, en conclusion, le débat sur une littérature régionale reste ouvert. Sera-t-il refermé un jour? C’est un débat entre intellectuels qui ont fait leurs humanités! Xavier Casanova, le diamantaire de Ghisonaccia-Gare, résuma en un propos lapidaire le sens même du débat : comment interroger le concept de littérature corse au terme d’une soirée de lecture publique ? N’avait-on donc rien entendu de cette création étrange, multiforme, rebelle, balbutiante et tonique ?" C’est Okuba Kentaro qui a relevé cette ellipse et ce qu’elle sous-entend.

 

Et finalement, doit-on se poser de telles questions en écrivant ? Laisser courir sa plume au gré de ses émotions et de son imagination n’est-elle pas la plus humble façon d’écrire ? Et puis, si c’est de la littérature, tant mieux !

 

La question de la littérature corse a fait couler beaucoup d’encre. L’IA de copilot vous donne une réponse synthétisée :

 

La littérature corse est un domaine riche et complexe qui reflète l’identité culturelle et linguistique de la Corse. Voici quelques éléments clés pour mieux comprendre ce sujet :

1.    Langue et diglossie : La Corse est caractérisée par un phénomène de diglossie, où deux variétés linguistiques (le corse et l’italien ou le français) coexistent sur l’île. Cette situation influence la littérature corse, car elle peut être écrite dans l’une de ces langues.

2.    Définition de la littérature corse : Selon l’écrivain Jean-Marie Arrighi, la littérature corse peut être soit une littérature écrite en langue corse, soit une littérature s’exprimant principalement en italien ou en français, mais dont les auteurs et les sujets sont corses. Ainsi, l’appartenance culturelle au peuple corse est essentielle pour se revendiquer de cette littérature.

3.    Imaginaire national : La littérature corse s’inscrit dans un espace de pensée spécifique, lié à l’« imaginaire national » propre à la Corse et à son peuple. Les auteurs corses explorent des thèmes locaux et expriment leur vision de l’île à travers leurs écrits.

4.    Littérature sur la Corse : À ne pas confondre avec la littérature corse, la « littérature sur la Corse » inclut des œuvres d’auteurs extérieurs à l’île, comme Prosper Mérimée et ses célèbres nouvelles « Mateo Falcone » et « Colomba». Ces récits romantiques, bien que situés en Corse, sont souvent le fruit d’une vision exogène et ne font pas partie intégrante de l’imaginaire national insulaire.

En somme, la littérature corse est un miroir de l’âme de l’île, où les écrivains corses expriment leur identité, leur histoire et leur vision du monde à travers leurs mots. Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à explorer davantage cette riche tradition littéraire !

Sur le site de la Collectivité de Corse, on trouve une approche de la littérature corse,  rédigée en 2009 par Josepha Giacometti, doctorante à l'Université de Corse pour le projet. L’article tente de brosser un panorama succinct de la littérature Corse. Elle est un champ bien souvent méconnu. Souvent comparée de manière péjorative à la littérature italienne ou française, elle peut se prévaloir aujourd’hui d’une histoire de presque deux siècles et d’une grande diversité de genres.



En novembre 2021, la revue Litteratura, dont le premier numéro est sorti un mois plus tôt, a été présentée au complexe Galaxy de Lecci, en présence des membres de la rédaction et de l'association Litteratura, Marc Biancarelli, Jérôme Luciani, Didier Rey et Jean-François Rosecchi. Pierre Decortes, président de l'association culturelle A Scola di Zia Peppa, partenaire de la revue, était également présent. L'occasion pour l'équipe d'expliquer les raisons du lancement de cette nouvelle revue. « Nous avons commencé à faire nos armes dans le monde littéraire il y a déjà un moment, notamment avec la publication d'A Pian d'Avretu, dans les années 90 et 2000, à laquelle Jérôme Luciani et Didier Rey avaient également participé », a rappelé le rédacteur en chef, Marc Biancarelli. « Il y a aujourd'hui une vie littéraire très riche en Corse avec des écrivains talentueux. Il manquait une revue qui fasse le lien entre la création, l'énergie, l'initiative des actions et qui mette en valeur ces auteurs » Selon Marc Biancarelli,  le premier numéro de Litteratura est une première pierre. Il ne s’agit toutefois pas de construire un mur pour y enfermer les autrices et auteurs corses.


On se doit de citer une association littéraire très active Musanostra et de son site qui offre des fiches de lectures classées par mois - https://www.musanostra.com/ -

Musanostra est une association fondée par Marie-France Bereni Canazzi en 2008.Sa mission première est de diffuser et de promouvoir la littérature, les sciences humaines, les spectacles vivants, les arts, dans toute la Corse. L’association organise plusieurs types d’événements : cafés littéraires, conférences, trois festivals, un salon du livre à Bastia, un concours de textes courts, un prix littéraire. E statinate est un festival littéraire qui se déroule durant trois jours. Il réunit des auteurs de la littérature et de la littérature corse autour de grands thèmes issus des parutions de chaque écrivain invité. L’événement se déroule durant les mois de juillet et d’août. L’association édite aussi une revue.


Vous pouvez poursuivre sur le thème de la littérature corse en regardant la vidéo ci-dessous :


Le Polar Corse : Chjam’è rispondi. Un beau texte de Joël Jegouzo, critique littéraire et ami de la Corse :

 

La Corse publie. Beaucoup ! La Corse invente. Beaucoup ! Sans doute son insularité (géographique et culturelle) y est-elle pour quelque chose dans ce regain d’invention et d’expression qui la marque aujourd’hui. Son " insularité ", ou plutôt, la prise de conscience de sa place dans le monde. Le " monde ", oui : les cinq continents. Le sentiment que sa " corsitude ", ce sentiment d’appartenir à une entité historique, culturelle, que l’on vit ailleurs comme menacée, justement dans ses dimensions insulaires, méditerranéennes, ne l’est pas en réalité. Changeons de vocabulaire : laissons le mot de " corsitude ", chargé des représentations stéréotypées que le vieux continent a forgé d’une île imaginaire vouée à un sot exotisme, aux dépliants touristiques et parlons plutôt de " corsité " : le fait d’être corse, dans un monde globalisé, est une chance. Explorons cette corsité, semblent proclamer les éditeurs corses, dont l’ambition s’affiche à hauteur d’un investissement proprement militant pour que cette culture rayonne enfin, comme s’ils étaient persuadés que l’ancestrale culture corse représentait non seulement le salut pour la nation corse, mais un vrai laboratoire des mondes à venir. Car voici que confluent brusquement de sérieux héritages pour former les conditions d’un (re)surgissement exemplaire, celui du fait Corse. Au point de confluence, l’héritage culturel de la diaspora corse, la culture orale corse et la volonté d’être corse par-delà les dérives identitaires et les reniements de toutes sortes, leur tentation du moins, dans un monde culturellement aliéné à la civilisation libérale-américaine. L’héritage de la diaspora corse tout d’abord. On l’a dit de bien d’autres nations : c’est une chance de posséder une forte immigration à l’étranger, formant les têtes de pont d’une culture vivante, exposée au défi d’exister envers et contre l’exil. Une diaspora donc, non seulement ambassadrice du fait corse, mais et peut-être surtout, communauté affrontée aux autres cultures, sachant mieux mesurer les défis du monde, tel qu’il les réorganise. Au point de convergence, toujours, l’héritage de la culture orale corse — nous y reviendrons. Enfin, la volonté d’être corse : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent d’une terre mystifiée — et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies. Car le mythe impose une rhétorique et une langue dont il faut s’emparer. C’est bien ce que les éditeurs corses ont compris, qui convoquent désormais la littérature mondiale autour du texte corse. Faisant ainsi entrer de plein pied dans la langue corse une géographie expansive qu’il nous est possible, enfin, d’entendre, et c’est ce qui importe : que l’échange soit possible. Alors prenez in fine la langue Corse, enracinée dans une forte tradition orale. Voilà qui n’est pas sans évoquer la situation de l’Irlande au moment où Joyce entreprend d’écrire : minoritaire, enfermée dans la domination britannique. Joyce n’écrit pas en gaélique, mais il sait faire chanter sa langue natale dans la langue de l’oppresseur, pliant au passage les règles du roman moderne au grain hérité du plus profond de son histoire. Cette jouissance séminale de la parole à la suture du parlé et de l’écrit, c’est dans son roman qu’il va donc la faire passer, abusant de phonétique, jouant du surgissement du son dans le mot. Lisez-le à haute voix, vous l’entendrez bien, allez ! Mais s’il y a de l’hérétique dans cette langue, c’est bien que son souci d’expérimentation formelle coïncide avec une conception offensive de la vie. Le vieil irlandais si vieux et d’un coup à la pointe de toute modernité. C’est cela que l’on entend ici et là dans le corse qui s’écrit aujourd’hui, au-delà du besoin ontologique d’exister par la révolte, dans et par cette formidable cambriole nourrie des rapines des autres possibilités langagières, en tout premier lieu offertes par la vieille langue corse. Mais ne poursuivons pas trop loin ce parallèle entre l’Irlande de Joyce et la Corse d’aujourd’hui. Encore que l’une et l’autre se soient façonnées par une construction identitaire fondée sur l'opposition à la culture qui les dominait. Ici, l’époque n'était guère propice à la liberté artistique, comme en témoignent la censure et l'exil de nombreux écrivains irlandais, de Joyce à Beckett. Ici toujours, la nation prenait ses distances avec ses repères historiques - la langue gaélique, l'Église catholique, un mode de vie rural - pour se réinventer dans un cadre européen et se démarquer du nationalisme violent qui sévissait dans le Nord. C’est peut-être, toute proportion gardée, ce à quoi la Corse opère aujourd’hui : à revisiter son passé pour l’accomplir autrement. Car voici que dans la régulation qui s’opère, le passé fait de nouveau fond sur l’histoire présente. Il n’est que d’évoquer cette coutume corse séculaire : le Chjam’è rispondi. Il y a là, sans doute, encore, une voie que les Corses contemporains n’ont pas fini d’explorer dans leurs œuvres. ( voir le très bel article de J.-P. Ceccaldi à ce sujet sur son blog : http://blog.ifrance.com/flicorse).De quoi parlons-nous ? A l’origine d’une joute verbale au cours de laquelle les participants rivalisaient avec des mots scandés a capella. On n’est pas loin du Slam ou du Rap. Impromptu poétique, sur un schéma mélodique répondant à des règles précises avec un contenu ouvert aux débats de société. Nul doute que la Corse tienne là le filon des modernités à venir ! Imaginez : savoir pareillement syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée. La Corse édite donc. Selon un schéma connu : désertification rurale, migration vers les grands centres urbains. Ainsi, Ajaccio et Bastia, les métropoles, abritent-elles la quasi-totalité des éditeurs actuels. Albiana, Alain Piazzola, DCL, Lettres Sud, La Marge, Matina Latina pour la première, Mediterranea, Anima Corsa, Patrice Marzocchi, pour la seconde. Ailleurs ? Rien, sinon les éditions Le Signet, établie à Corte, l’ancienne capitale historique. La Corse édite, du noir. Beaucoup. Avec les éditions Albiana par exemple, qui travaillent une voix corse empreinte d’un blues magistral, ou avec la naissance de ce personnage, le flicorse ( Editions Ancre Latine) , qui, mieux qu’aucun autre, porte en lui toute l’ambiguïté du débat corse... (Joël Jégouzo). 

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