Il faut retenir que le policier n’a pas pour tâche d’apporter une résolution définitive de l’enquête. Il doit explorer toutes les orientations et toutes les pistes même les plus improbables. Au bout, il fera état de la réalité de l’infraction, des indices graves et concordants relevés à l’encontre d’un ou plusieurs mis en cause. Tout au long de l’enquête, il reste un technicien du droit pénal, préoccupé par l’aspect juridique du dossier et les indices. L’identification du mis en cause et son arrestation ne marquent pas la fin de l’enquête qui se poursuivra pour vérifier même les aveux et aller jusqu’au bout de toutes les questions sur la sa culpabilité qui devront avoir des réponses le jour de jugement, notamment sur sa responsabilité. Même lorsqu’il passe aux aveux, un criminel va souvent s’attacher à minimiser son acte et pour cela, il ira jusqu’à noircir la victime ou impliquer une autre personne.
En apparence seulement, la démarche de l’enquêteur n’est pas différente de celle de l’auteur de roman policier. Toutefois ce dernier invente les hypothèses pour en retenir une. Le policier n’invente rien. Ce n’est pas lui qui écrit le scénario. Il avance pas à pas et revient en arrière lorsqu’il le faut. Une enquête n’est pas forcément linéaire comme un polar car souvent les pistes sont multiples et variées. L’enquêteur doit se garder de toute certitude et surtout ne pas s’y enfermer. Il n’est pas rare de devoir changer d’avis sur un mis en cause pourtant fortement soupçonné.
Quelques mots sur les indices apportés par le témoignage humain. C’est ce que l’on appelle la «preuve testimoniale » c’est-à-dire la relation verbale ou écrite d’impressions sensorielles. Les erreurs qui altèrent le témoignage humain se rencontrent à tous ses stades : à celui de la perception (au moment de l’événement) à celui de la narration (au moment de la déposition) et à celui de la fixation situé entre les deux précédents. La limitation du champ de l’attention au moment des faits, l’état présent du témoin, ses besoins organiques ou affectifs, ses habitudes mentales influeront, à son insu, sur sa déposition. Il en résulte qu’un témoignage entièrement exact est une exception : les renseignements faux étant donnés avec autant d’assurance que les vrais ; d’autre part, le témoin reconstitue souvent ses souvenirs en fonction de ce qui lui paraît vraisemblable tout autant qu’en ce qu’il a réellement vu. Particulièrement inexacts sont les témoignages sur les couleurs, les mouvements, les nombres, l’évaluation des durées. A ces causes involontaires d’altération du témoignage peuvent s’ajouter des causes volontaires inspirées par la jalousie, la crainte, la vanité… voire des préjugés moraux ou autres. Alors, est-ce dire que la preuve testimoniale doit être rejetée ou négligée ? Non, et l’on ne concevrait pas une enquête menée sans tenter de la recueillir. Malgré son caractère plus ou moins fallacieux, elle en est la base mais pas la construction.
En fait, le policier serait plus près du lecteur critique que du héros et de l’auteur de roman policier. Il est un lecteur actif et réactif car c’est lui qui découvre et évalue les indices. Il doit en avoir une lecture objective et, par déduction, arriver à une analyse qui le mène à une conclusion démontrée. Le mis en cause sera jugé en premier ressort et, dans le cas d’une condamnation, la justice offre heureusement des voies de recours. Une personne condamnée en premier ressort, peut être relaxée en appel. Est-ce que cela veut dire que l’enquête a été mal faite ? Cela peut être le cas mais ce n’est pas une généralité. On peut aussi revenir sur des fictions et s’amuser à démontrer, comme l’a fait Pierre Bayard, qu'Œdipe n’a pas tué son père ou que l’affaire du chien des Baskerville n’a pas été élucidée par Sherlock Holmes. Et si Sherlock Holmes s’était trompé ? C’est ce doute effronté que se permet Pierre Bayard après la relecture d’une des plus célèbres aventures du plus célèbre des détectives. (Pierre Bayard est déjà responsable de la contre-enquête sur le meurtre de Roger Ackroyd, récit d’Agatha Christie). Pierre Bayard fait une relecture qui s’appuie sur la critique policière, partant du postulat que des meurtres racontés par la littérature n’ont pas été commis par ceux que l’on a accusés. "En littérature comme dans la vie, dit-il, les véritables criminels échapperaient souvent aux enquêteurs en laissant accuser et condamner des personnages de second ordre." La critique policière de Pierre Bayard n’accepte alors aucun témoignage sans réserve et met systématiquement en doute tout ce qui lui est rapporté. Il décrypte la méthode de travail du détective, analyse le rapport de l’auteur avec son héros, la subjectivité voire la capacité de manipulation du narrateur… il intègre les interactions entre les mondes réels et fictionnels, admet l’existence autonome des personnages en action et démonte l’inébranlable croyance du lecteur en ce que lui propose l’auteur. Alors n’hésitez pas à votre tour : faites votre propre enquête en lisant un polar et n’acceptez pas forcément le dénouement de l’auteur dont l’enquête n’a pas été contrôlée et sanctionnée par des magistrats. Bayard repère dans le livre de Conan Doyle des indices que son propre héros n'aurait pas vus. Il nous oriente vers un autre coupable. Derrière la prouesse, on comprend le message : un livre s'écrit toujours à deux.
Ce que Bayard propose, des magistrats, des avocats et des journalistes le feront avec l’enquête effectuée par la police judiciaire. Finalement le risque d’erreur est peut-être moins important dans la réalité judiciaire que dans la littérature. L’auteur n’accorde aucune voie de recours au coupable en dehors de celle du lecteur critique.
Pour le réhabiliter après la contre-enquête de Bayard, je citerai Sherlock Holmes. : « Une fois l’impossible écarté, tout le reste, même l’improbable, est vrai » car ce qui a peu de chance de se produire n’est jamais à exclure dans la fiction comme dans la réalité. Dans la réalité, le premier travail de l’enquêteur est essentiellement de préserver les lieux d’un crime pour que des techniciens des scènes de crimes y trouvent un maximum de traces et indices. Aujourd’hui, la police scientifique est en passe d’éclipser le commissaire Maigret et autre Hercule Poirot. Les nouveaux héros sont des experts en blouse blanche de Manhattan, de Miami et de Las Vegas… et maintenant en France avec la série de TF1, RIS (recherche, investigation scientifique). Il faut savoir qu’en France, le terme de police scientifique est purement générique et recouvre des laboratoires. Sur le terrain, ce sont des policiers techniciens des services de l’Identité judiciaire qui sont chargés de relever les traces et indices sur les scènes de crimes.
En 1887 Alphonse BERTILLON invente l’anthropométrie adoptée par la Préfecture de Police de Paris, puis par toute l’Europe. L’an 1898 marque la mise au point des premières photographies métriques. En 1902 : Les services de l’Identité Judiciaire utilisent les empreintes digitales. C’est Alphonse Bertillon qui met au point une méthode scientifique d’identification des criminels : l’anthropométrie. C’est un tournant dans l’enquête policière qui va par la suite avoir de plus en plus recours à des techniques et aux sciences. Aujourd’hui la police dispose d’un service d’Identité judiciaire avec ses techniciens de scènes de crime et de laboratoires performants qui procèdent à toutes les analyses qui pourront orienter l’enquête et servir de preuves. Sur le terrain dans chaque service, des fonctionnaires sont formés pour intervenir en lieu et place de leurs collègues de l’Identité judiciaire qui ne pouvaient répondre à toutes les sollicitations notamment en matière de constatations sur les cambriolages. Donc, on arrive à une plus large et plus professionnelle utilisation des techniques d’Identité judiciaire. Ce sont ces traces et indices qui permettront de prouver une culpabilité mais aussi de démontrer une innocence. Il faut donc que le premier intervenant évite le brouillage et la destruction d’éléments d’enquêtes qui peuvent s’avérer déterminants.
Le problème de cette conservation des traces et indices n’est pas ignoré par la loi puisque le code de procédure pénale indique que «en cas de crime flagrant, l’officier de police judiciaire veille à la conservation des indices susceptibles de disparaître »
En premier lieu, on peut distinguer deux grandes catégories de traces :
- Les traces indéterminantes : elles le sont car elles ne montrent pas la relation qui les lie à l’auteur. Les indices indéterminants peuvent être des traces chimiques constituées par des tâches et des débris. Elles ont une nature compositionnelle et structurale donnée autorisant une étude de matière. Il y a les traces biologiques (les micro-organismes, des plantes… Les autres sont d’origine non biologique (eau, terre, peinture, métaux…). Leur composition peut permettre d’identifier un lieu, un outil, un produit utilisé pour exemples… Leur présence peut par exemple établir la présence dans un lieu d’un corps et son déplacement dans un autre lieu mais aussi la présence d’un suspect sur le lieu du crime.
- Les traces déterminantes : elles conservent une relation entre un objet et l’auteur. Ce sont principalement les empreintes digitales, l’ADN … donc des dépôts de matières par impression, frottement ou arrachement. Il peut arriver d’avoir une association trace-tâche, par exemple l’empreinte d’un doigt tâché de sang.
En ce qui concerne l’empreinte digitale, il faut savoir qu’à partir du relevé de 17 points de coïncidence entre deux empreintes, on considère que la similitude est établie et que l’identification est confirmée. Ce nombre de 17 n’est pas déterminé par le hasard mais résulte d’un calcul de probabilité qui précise le risque d’erreur ; il faudrait examiner 17.179.869.184 empreintes pour trouver ces 17 caractéristiques sur deux empreintes différentes appartenant à deux sujets différents. Les empreintes digitales se forment très tôt et avant la naissance, au 6ème mois de la vie fœtale et ne disparaissent qu’après la mort par le processus de décomposition du corps. La croissance ne peut les modifier et elles sont donc des marques personnelles immuables. Sur un cadavre en mauvais état de conservation, on peut injecter de la paraffine chaude dans le doigt pour récréer le volume et tendre la peau avant de relever les empreintes mais il est recommandé de découper la zone de peau qui sera ensuite traitée pour obtenir un maximum de lignes. Toutefois, souvent les traces papillaires laissées sur les lieux des délits et des crimes sont partielles, imprécises et difficiles à lire ou illisibles.
Les services de l'identité judiciaire assurent la signalisation des personnes en vue de leur identification, les relevés photographiques, la recherche et la révélation des traces et indices sur les lieux d'infraction. Ils participent à l'exploitation de certains indices, effectuent des examens techniques à la demande des enquêteurs ou des magistrats. Ils tiennent à jour les fichiers dactyloscopiques. Dans l’enquête, le relevé des traces et indices est du ressort des fonctionnaires de l’identité judiciaire et la partie scientifique est de celui des experts requis. L’exploitation des indices va mettre en œuvre des méthodes et procédures techniques et scientifiques. L’enquêteur devra exploiter les résultats.
Dans Coule la Seine, Fred Vargas cite comme présent sur le lieu de découverte du cadavre de la femme noyée deux agents, le médecin légiste, les types du labo, et le photographe… D’abord, il n’y a pas de types du labo et de photographe mais deux policiers de l’Identité judiciaire dont l’un relève les traces et l’autre prend les photos… Ils sont des policiers formés à ces techniques. Dans les circonstances de la découverte d’un cadavre, l’enquête s’ouvre par la recherche des causes de la mort qui est une procédure apparentée au flagrant délit et donc sous les instructions de Procureur ou de l’un de ses Substituts qui, sauf empêchement, se rend sur place. Les autres intervenants sont un médecin qui constate le décès (c’est le médecin légiste lorsque la mort est avérée d’origine criminelle et que tout soin apparaît inutile), les fonctionnaires de l’Identité judiciaire (pour relever les traces et indices, prendre des photos et constituer un plan des lieux), et l’OPJ saisi de la découverte. C’est lui qui dirige les constatations et qui en rend compte par écrit. Il n’y a aucun représentant du laboratoire de police scientifique qui sera mis à contribution par la suite sur réquisitions écrites.
Les enquêteurs peuvent par leur seule présence sur les lieux polluer le site avec leur propre ADN, en n’y perdant qu’un seul cheveu. Les analyses peuvent s’en trouver perturbées et les résultats invalides. Les experts de l’Identité Judiciaire (I.J) portent des combinaisons intégrales en plastique, un calot, une paire de gants et couvrent leurs chaussures. Ensuite, ils ont à leur disposition des produits et du matériel : seringues, grattoirs, pinces, tamponnoirs (pastilles d’aluminium recouvertes d’un adhésif double face qui permet de récolter toutes les particules, à usage unique et immédiatement rangées dans des tubes hermétiques).
Si on prend pour exemple le sang, la disposition des tâches est un indice en soi car leur situation, leur nombre et leur texture renseignent sur la chronologie des différentes séquences d’un crime. Le sang est composé d’une suspension cellulaire (les globules rouges et blancs, les plaquettes). Les prélèvements peuvent être liquides ou secs. Ces prélèvements nécessitent des précautions et des conditions de conservation. Dans une flaque, on utilise une seringue nettoyée au sérum physiologique si elle n’est pas stérile et sans aiguille. En l’absence de seringue, on utilisera un papier absorbant non coloré qui sera emballé après séchage. Le sang liquide doit être conservé à une température de +4 à +8°. Ensuite il faudra l’identifier c’est-à-dire savoir d’abord s’il s’agit bien de sang, si son origine est humaine ou animale, déterminer le groupe et le Rhésus qui permettront d’écarter des sujets et de restreindre les hypothèses. C’est le travail du laboratoire.
Même après un nettoyage, grâce à la lumière bleue ou rouge, on peut déceler des contrastes sur certaines surfaces qui ont été souillées par le sang. Avec l’ultraviolet, on peut même révéler des traces invisibles de sang. C’est ce qui a été expérimenté dans l’affaire Flactic (l'affaire du quintuple assassinat de la famille Flactif au Grand Bornand le 11 avril 2003). Un linge imbibé de sang, même après lavage, peut être discriminant. Le tissu va réagir à l’eau oxygénée et, par réaction chimique avec le sang, mousser (vous avez pu le constater en désinfectant une plaie) : l’hémoglobine fixe, transporte et décompose l’eau oxygénée. Ensuite, pour confirmation, on utilise le spectroscope pour rechercher l’homochromogène alcalin, dérivé chimique de l’hémoglobine qui montre qu’il s’agit bien de sang. Si on a trouvé du sang mais pas de corps, comment démontrer qu’il s’agit de sang humain ? On dilue le sang dans du sérum physiologique. On y ajoute un sérum antihumain qui contient des anticorps anti-immunoglobine et, si le sang est humain, on obtient une agglutination antigène-anticorps.
Des recherches d’indices sont donc effectuées post mortem sur la victime et c’est le rôle de l’autopsie. Des prélèvements de sang mais aussi d’urine sont opérés sur la victime et feront l’objet d’examen de toxicologie notamment pour déterminer la présence de substances médicamenteuses ou autres, voire de poisons.
La trace la plus ancienne de l’utilisation de la médecine pour résoudre un crime remonterait à 1248 en Chine. Il s’agissait de distinguer une noyade d’une strangulation. En Europe, on considère que le pionnier de la médecine légale fut Mathieu Orfila (1764-1835), médecin et chimiste français d’origine espagnole. Il a écrit divers ouvrages notamment sur des leçons de médecine légale (1821-1823), un traité d’exhumations juridiques (1830)et un traité de médecine légale (1847).
Le médecin-légiste pratique le curage des ongles pour analyser les déchets qui peuvent être ceux d’un poil, de fibres textiles, de sols et autres résidus divers qui pourront donner des indications sur le lieu et les circonstances du crime ou dans le cas d’éléments contenant de l’ADN le génome d’un suspect. Ensuite, il pratique un examen anatomique pour déceler les lésions apparentes et utilise si nécessaire la radiographie. Il procède à des prélèvements de liquides biologiques pour analyses mais aussi de d’organes sur lesquels seront effectués des examens anatomopathologiques.
Si on prend encore pour exemple un texte de Fred Vargas dans « Coule la Seine » qui part de la découverte d’un fragment d’os dans une crotte de chien. Cela est suffisant pour savoir que si la crotte est animale, l’os est humain.
Pour savoir si l’os est humain, on utilise trois méthodes, la méthode ostéologique, la méthode histologique et la méthode sérologique. Les deux premières méthodes permettent par le calcul d’un indice dont le résultat est différent chez l’homme et l’animal, de déterminer l’origine humaine d’un os. La Sérologie le fait par utilisation de sérums précipitants.
Lors d’une découverte de cadavre, des indices vont être recherchés sur le moment de sa mort. C’est le médecin-légiste qui va analyser les éléments visuels d’état cadavérique et de décomposition. Lorsque la mort remonte à plusieurs jours, les indices seront des larves de mouches. Il faut savoir qu’un cadavre est colonisé par plusieurs vagues d’espèces de mouches à des intervalles connus. La présence ou l’absence d’une espèce donne une indication sur la date de la mort. Nous sommes dans le domaine de l’entomologie. En France, le médecin légiste est expert inscrit sur la liste d’une Cours d’appel, comme les autres experts requis dans les enquêtes judiciaires. Il est habilité à procéder aux autopsies qui sont des actes importants et nécessaires dans le cas des homicides ou de la recherche des causes d’une mort suspecte. Il va devoir déterminer les causes de la mort en fournissant des éléments scientifiques qui seront autant d’indices pour en déterminer au plus près les circonstances. Il ne peut pratiquer l’autopsie qu’en présence d’un Officier de Police judiciaire et y assiste parfois un magistrat du Parquet ou de l’Instruction....
A SUIVRE
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